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Existe-t-il une philosophie dans l’aquabiking ? L’aquabikeur(euse) qui pense est-il un philosophe ? L’aquabiking est rarement abordée sous l’angle de la pensée philosophique. Et pourtant, elle est à la fois une expérience corporelle, psychique et physique.

Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage « L’essentiel de l’aquabiking » ?

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Ce livre s’est d’abord voulu une expérience. Il ne s’agissait pas tant d’écrire un livre sur l’aquabiking que de vivre une expérience de pensée grâce à cette pratique. Je me suis donc astreint à écrire ce livre d’après le vécu immédiat de mes cours, de mes entraînements, en ne retenant que les idées qui me venaient en pédalant et en donnant mes cours. Il fallait d’abord que mes idées passent par mon corps d’aquabikeur, comme une expérimentation, pour être ensuite couchées sur le papier. C’est ce que j’ai appelé le « test de l’aquabiking ». Je pédale, des idées me viennent en tête de manière libre et improvisée car le contrôle que j’ai sur elles habituellement, grâce à la rythmique que crée le pédalage, disparaît progressivement. Je me douche et j’écris tout de suite après : le tri s’élabore à ce moment-là. C’est ainsi que mon livre est né.

De ce point de vue, il s’agit moins pour moi de faire une philosophie de l’aquabiking au sens où le philosophe qui aime faire la leçon viendrait dire à l’aquabikeur ce qu’il doit penser de l’activité. Cette arrogance-là est justement le contraire de la tentative modeste que je voulais mettre en place. Pour moi, il fallait plutôt voir ce qu’il y avait de philosophique dans l’aquabiking, avec cette conviction que l’aquabikeur, quand il pédale, fait de la philosophie sans le savoir, c’est-à-dire qu’il se livre à une expérience qui n’est pas simplement corporelle mais qui est dans le même temps une expérience de pensée.

Les questions que l’aquabikeur se pose sur lui-même, sur le monde, sur les autres, pendant qu’il pédale, engagent sa pensée d’une manière incroyablement vivante et sans intermédiaire. L’aquabiking est déjà en elle-même une épreuve philosophique : suis-je libre de continuer à pédaler, ai-je la volonté pour sortir ce matin alors qu’il pleut ? Qu’en est-il de la dualité du corps et de l’esprit ? Est-ce que je pédale dans l’espace aquatique ou dans le temps ? Puis-je communiquer avec l’autre quand je suis en plein effort ? Qu’est-ce que le plaisir, qu’est-ce que la douleur ? Ces quelques questions, l’aquabikeur se les pose en permanence mais il se les pose pour tenter d’être un peu plus libre qu’avant, d’avoir un peu plus de volonté qu’hier, pour s’aventurer un peu plus en avant dans le lien intime et secret entre plaisir et douleur.

Il existe donc un lien entre philosophie et l’aquacycling.

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Le paradoxe, au départ, est évident. Le philosophe est un « professionnel de la tête » pour le meilleur et pour le pire, tandis que l’aquabikeur est un «professionnel du pédalage aquatique». Mais ces deux pôles éloignés du corps se rejoignent justement dans une expérience qui est indissolublement mobile et philosophique. La pensée est-elle différente lorsqu’on est assis, lorsqu’on marche ou lorsqu’on pédale dans l’eau ? La réponse est OUI : il se crée une mobilité de la pensée, une expérience du rythme qui est unique et qui par ailleurs semble mieux correspondre à l’état d’accélération de notre monde. Car le monde croit en l’immobilité des choses alors que nous sommes au contraire entrés dans le monde de l’hyper-mobilité. Mais l’aquabikeur n’est pas qu’un symptôme de son époque qui se mettrait à pédaler dans l’eau car tout est course autour de lui. En réalité, l’aquabikeur redonne de la consistance à la durée, au rythme. Paradoxalement, il convertit la vitesse en lenteur car il sait bien qu’il va infiniment moins vite dans l’eau que sur terre. Cette expérience de la modestie dans l’apprentissage d’une vitesse que l’aquabikeur s’approprie est fondamentale. Elle permet une éthique de la pauvreté dans laquelle vivre, c’est aspirer à vivre simplement.

Peut-on donc en déduire que l’aquabikeur est philosophe ?

chris humL’aquabikeur devient philosophe sans le savoir car il se construit une expérience qui donne un sens à sa vie. Nietzsche disait qu’il fallait envisager sa vie comme une œuvre d’art. C’est ce que fait l’aquabikeur quand il décide de rythmer sa semaine par des séances régulières. Il aménage un rapport vital à l’espace et au temps, et produit ainsi un usage de soi. C’est cette dimension du souci de soi, souci du corps et de l’esprit, qui fait entrer dans une philosophie, laquelle avant d’être interprétation du monde, est d’abord pratique de soi. Les stoïciens affirmaient que la philosophie n’était pas tant une connaissance désincarnée du monde qu’une pratique concrète de transformation de soi (de ses représentations par exemple). Je suis persuadé que l’aquabikeur pédale pour se changer, pour s’exercer à la liberté, à la volonté et en ressortir plus vivant. L’aquabiking est, au sens stoïcien du terme, un exercice sur soi. Cet exercice est un exercice total, corporel et mental. Il est aussi un exercice avec les autres, une manière de se sentir relié au monde et aux autres, d’exister non comme propriétaire des choses mais comme fondamentalement de passage. L’aquabiking est un art.

Peut-on répondre à la question : pourquoi pédalons-nous dans l’eau ?

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Cette question me fait penser à un aphorisme de Nietzsche au début du Gai savoir. Nietzsche imagine que le penseur, au bord de sa vieillesse, se voit poser la question suivante, embarrassante pour lui : « Pourquoi cherches-tu encore ? » L’homme qui lui pose cette question est un sceptique, quelqu’un qui ne croit pas vraiment que cela vaille la peine de passer sa vie à chercher, il lui fait d’ailleurs remarquer que son heure est presque passée et qu’il continue à chercher encore, et il lui suggère presque qu’il a raté sa vie à force de chercher. Vient ensuite la question : « Pourquoi cherches-tu donc ? » Et la réponse préserve l’énigme : « C’est justement ce que je cherche, la raison de ma recherche ». Je crois de manière un peu analogue que la réponse, à la question « Pourquoi pédaler dans l’eau ? » doit préserver l’énigme. On pourrait dire alors que l’on bike justement après la question « Pourquoi bikons-nous ? » Je pense qu’il existe beaucoup de réponses possibles à cette question.

Pour les uns, pédaler met en forme, allège le corps (et aussi l’esprit). Pour les autres, pédaler permet de se vider la tête, de sortir d’une logique de stress. Pour d’autres encore, aquabiker offre la possibilité de se débrancher, confronté à soi-même et à rien d’autre, car quand on bike on a cette formidable liberté, qui existe relativement rarement aujourd’hui, de ne pas être joignable ; personne n’a alors prise sur vous, vous êtes seul maître à bord. Je dirais que l’on bike un peu pour toutes ces raisons. Fondamentalement, on pédale dans l’eau pour se sentir en vie. Autrefois les philosophes imaginaient des démonstrations de l’existence de Dieu, toutes plus savantes les unes que les autres. Aujourd’hui, fort heureusement, nous sommes devenus plus modestes : une preuve de notre existence nous suffit et l’aquabiking en est une magnifique. Car, dans la pratique, toutes les sensations sont comme renouvelées : vous sentez le monde, le voyez, l’entendez comme pour la première fois. C’est en cette épreuve de la renaissance que consiste l’art de l’aquabiking. On bike pour renaître.

Pourquoi l’aquabiking prend-t-elle cette ampleur ?

Il existe deux versants importants de l’aquabiking : la possibilité de pédaler à plusieurs et la possibilité de mieux éprouver le monde. Il est certain qu’une leçon sociologique est à l’œuvre dans le fait que de plus en plus de personnes se mettent à aquabiker. Là où il y avait 30 aquabikeurs(euses) au premier centre d’aquabiking en France, on est maintenant à quasiment 30 000 personnes. Il s’est donc passé quelque chose. L’aquabiking est une valeur sociale. Mais ce serait une erreur de voir dans l’aquabiking un simple effet sociologique de la démocratisation de l’effort, de la personnalisation de l’individu, de la valorisation de la mixité, etc. En réalité, l’aquabikeur éprouve un nouvel art d’être ensemble, de se sentir appartenir à une communauté d’aquabikeurs qui est une meute entièrement pacifique, une façon d’honorer la seule présence au monde.

gpe aquabike

Sportivement, Christophe